• PIERRE GILLIARD, le précepteur des Enfants Romanov, raconte les derniers jours......

     

     

    Pierre Gilliard
    Photographie de Pierre Gilliard.
     
    Pierre Gilliard (1879-1962) était un universitaire suisse romand surtout connu pour avoir fréquenté la dernière famille tsariste de Russie en tant que professeur enseignant la langue française aux cinq enfants de l'Empereur Nicolas II de 1905 à 1918.
      
    En 1921, après son retour au pays, il a écrit et publié un ouvrage comptabilisant ses mémoires :
      
      
    " Treize années à la cour de Russie ", un livre devenu référence pour toute étude approfondie sur la vie du dernier Tsar et sa famille ; il y décrit les mœurs, les sentiments, la politique, la maladie du Tsarévitch et tout ce qu'il y a à retenir des années qu'il passa auprès des Romanov et cela avec une neutralité bien suisse : il traite du " Crime d'Ekaterinbourg ", comme il l'appelait, mais ne s'y laisse pas tomber dans une lamentation.
     
      
      
     
     
      
     
    Il donne une image objective et humaine de Nicolas II et des siens.
      
    Ainsi, il aborde dans son œuvre littéraire le Tsar à la personnalité faible, la maniaco-dépressive Alexandra, le malade mais néanmoins autoritaire fils hémophile et l'influence qu'exerça Grigori Raspoutine.
     
    1. Précepteur des enfants impériaux.
    2. Révolution russe.
    3. Libération et enquête sur l'après Tobolsk.
    4. Mort et héritage.
     
    Biographie.
     
    Nom complet : Pierre Gilliard
    Père : Edmond Gilliard
    Mère : Marie Gilliard-Malherbe
     
    Naissance : 16 mai 1879, Fiez-sur-Grandson,
    Canton de Vaud,
    Confédération helvétique
    Décès : 30 mai 1962, Lausanne, Canton de Vaud,
    Confédération helvétique
     
     
    Activités : Professeur de français, précepteur des enfants du Tsar Nicolas II,
    auteur, universitaire
    Religion : Protestantisme
     
     
    Conjoint : Alexandra Aleksandrovna Tegleva
     
     
    Enfants : Aucun
     
     
     
    Précepteur des enfants impériaux.
     
    Pierre Gilliard
    Photo de 1911 : Pierre Gilliard, Olga & Tatiana en Crimée à Livadia.
     
     
      
    Dans ses mémoires, Gilliard a confié qu'il était d'abord venu en Russie en 1904 en tant que professeur de français au service du Prince Serge Gueorguievitch Romanovski, Duc de Leuchtenberg et cousin du Tsar.
      
      
    Il vécut les dix premiers mois de son séjour russe à Yalta, non loin du Palais Livadia en Crimée. Devant les réussites de ses méthodes d'enseignement, il est recommandé à Nicolas II et finit par devenir le précepteur des Grande-Duchesses Olga et Tatiana Nikolaïevna en 1905 et plus tard des autres enfants de la fratrie.
      
      
      
    Gilliard n'est absolument pas monarchiste et encore moins partisan de l'idéologie autocrate absolue qui gouvernait l'Empire russe.
      
      
    Il est horripilé par les flagorneries auxquels la famille impériale doit faire face : leurs visiteurs sont bien souvent hystériques quand ils ne sont pas fanatiques, ces gens se jettent aux pieds des Romanov qu'ils couvrent de louanges et de leurs prières et leur baisent littéralement les pieds et les mains.
      
      
    Bref leurs visiteurs expriment une vénération semblant illimitée.
      
      
      
      
    Ils transmettent pourtant bien la vision paysanne qu'incarnait Nicolas II, son épouse et ses enfants. A plusieurs reprises il intervient afin que ce genre de flatteries ridicules, selon lui, cessent, comprenant clairement que les enfants en sont embarrassés.
      
      
      
    Et il ne fit pas cela seulement parce qu'il était égalitaire mais aussi parce qu'il pressentait que le caractère et la personnalité de ces enfants ne pourraient qu'évoluer vers une divination de leur personne bien loin des réalités de l'époque.
      
      
      
    Gilliard comprend tout à fait le principal problème :
      
      la famille est si isolée qu'elle est entourée d'un cercle restreint de courtisans qui ont gardé la vision russe de la monarchie du XVIIe siècle.
    Pourtant, Pierre nota que cela n'avait pas eu d'effets sur le comportement des enfants qui restaient simples et francs.
     
     
    Il tente d'assurer une éducation contraire à l'enseignement traditionnel des Romanov, qu'il juge artificiel, tendancieux et dogmatique. « Isolé dans un monde figé par les traditions, sans contact avec des milieux divers auxquels il doit se confronter, l'enfant ne développe durant son enfance, son adolescence puis sa jeunesse ni esprit critique ni sens des réalités.
      
    Je voulais transmettre au Tsarévitch les valeurs qui font, à mes yeux, l'homme juste et droit, qui sait faire preuve de sentiments. « a écrit Pierre Gilliard dans ses mémoires.
      
      
      
    En 1910, il parlait des Grande-Duchesses en ce sens, dans une lettre écrite à sa mère : " L'accueil de mes élèves m'a montré que l'Impératrice avait raison en disant qu'elles avaient pour moi un sentiment affectueux. Seulement je ne me fais aucune illusion : ces enfants sont incapables de s'attacher vraiment à ceux qui les entourent (ils sont trop nombreux) et ils n'en auraient d'ailleurs pas le temps. Ce changement perpétuel de visages les amène à une grande superficialité de sentiments. "
     
     
    Des années plus tard, il apporte une toute autre description des jeunes filles : " Les grande-duchesses étaient charmantes de fraîcheur et de santé. Il eut été difficile de trouver quatre sœurs de caractère plus dissemblable, mais plus harmonieusement unies par une amitié qui n'empêchait pas l'indépendance personnelle et qui, malgré la diversité de leurs tempéraments, les liait entre elles de la façon la plus vivante.
      
      
    Des initiales de chacun de leurs prénoms elle avaient formé comme un prénom collectif : OTMA, et c'est sous cette signature commune qu'elles offraient parfois leurs cadeaux et qu'il leur arrivait souvent d'envoyer des lettres écrites par l'une d'elles au nom de toutes.
      
      
      
    Ce qui faisait le charme assez difficile à définir de ces quatre sœurs, c'était leur grande simplicité, leur naturel, leur fraîcheur et leur instinctive bonté. " Des quatre Grande-Duchesses, Olga était la plus intelligente mais ne trouvait autour d'elle les divers éléments nécessaires à son développement, au lieu de s'épanouir, tendait à s'étioler ", écrit le suisse francophone. " Quand à ses sœurs, elles n'avaient jamais eu que peu de goût pour les études, et étaient surtout douées de qualités pratiques. "
     
    Pierre Gilliard
    Photo de 1911 à Livadia en Crimée : Anastasia, Pierre & Maria.
     
    Dans l'éducation qu'il apporte aux enfants, il doit non seulement combattre la tradition mais aussi la Tsarine douairière, l'épouse d'Alexandre III et mère de Nicolas II Maria Feodorovna née Dagmar de Danemark.
      
      
    Cette dernière a écrit
    " Quand je pense que mes petites-filles vont offrir des
    gâteaux à la marmaille du personnel ! Quelle décadence !
      
      
    Mon mari n'aurait jamais admis une telle dérogation à nos principes.
      
      
    Ne seraient-elles pas mieux dans un salon avec les enfants de nos amis afin de pouvoir vivre selon leur milieu en toute décence ? " 
    Pierre Gilliard
    Pierre Gilliard, Gen Voyeikov, Tsarévitch Alexeï Nikolaïevitch, Charles Sidney Gibbes et Piotr Vassilievitch Petrov en 1915.
     
    Arrivé dans le pays de la Cathédrale Sainte-Basile en 1904, il ne connaissait encore rien de la société russe, de ses traditions et de sa religion, et bien peu de son système politique.
      
      
    Cette absence de connaissances de la réalité russe sera comblée par la guerre entre les impérialismes russe et japonais et par la Révolution de 1905. En faisant référence aux pogroms (massacres sur base ethnolinguistique et/ou religieuse) et à la violente répression organisée sur ordre ou laissée faire par Nicolas II, il écrit " Dès le début la Russie se révélait à moi sous un aspect terrible et chargé de menaces, présage des horreurs et des souffrances qui m'attendaient ".
     

    En 1914, la guerre surprend la famille impériale.
      
    Pierre Gilliard devait normalement repartir en Suisse mais le Tsar Nicolas II par l'intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, Sergueï Dimitrievitch Sazonov intervient auprès du gouvernement fédéral helvète afin que Gilliard puisse rester auprès de la famille impériale.
      
      
    Une faveur exceptionnelle est accordée par Berne le 14 août 1914, son destin est désormais lié aux plus sombres moments des Romanov.
     

    Au printemps de l'année 1917, la situation en Russie est désastreuse : crises politique et économique, défection de régiments entiers dans l'armée dont le moral est au plus bas (aidé en cela par la propagande démoralisatrice que les bolcheviques s'affairent à faire entendre), famine dans les villes où la population fuit vers les campagnes.
      
      
    Ceux qui restent dans le milieu urbain font planer un très fort sentiment républicain et antitsariste. Les interventions se multiplient auprès du Tsar pour qu'il fasse des concessions sur le plan de la politique interne, tous tentent de raisonner l'Empereur. Il cède et accepte d'accorder le fait que les ministres deviennent responsables devant le parlement impérial, la Douma.
      
      
      
    C'est le soulagement général, on croit que la monarchie pourra survivre à la guerre. Mais après toute une soirée à discuter avec son épouse, Alexandra, il a changé d'avis. Il signe un décret ordonnant la dissolution immédiate de la Douma qu'il laisse au premier ministre Galitzine.
      
      
    Pierre Gilliard a écrit " L'influence de la Tsarine, à ce moment précis a été néfaste, elle fessait s'accrocher le Tsar à une autocratie qu'il ne pouvait et ne voulait pas maintenir. La situation était hors de contrôle. "
      
      
    A l'annonce de l'ordre tout le monde est stupéfait et atterré, les derniers soutiens politiques de Nicolas II se sont effondrés.
      
      
    Il ne faut pas plus de dix jours pour pour que les députés, à l'unanimité, ne demandent au Tsar d'abdiquer. La requête est envoyée par télégramme à celui-ci qui se trouvait dans le train impérial avec ses plus hauts commandants, ces derniers donnent leur avis
      
      
    " Sire, l'abdication est la moins pire des solutions qu'il vous reste.
      
    La Révolution et la guerre civile grondent chez toute une partie du peuple gagnée aux idées. "
      
      
    Il fait répondre au télégramme qu'il accepte et qu'il donne le pouvoir à son fils.
      
    Le gouvernement, une fois la réponse reçue, fait prévenir les plus hauts du pays : militaires, cosaques, religieux et nobles.
      
      
      
    Mais la situation se complique davantage, les émissaires venu lui faire signer l'acte définitif reçoivent pour réponse informelle : " Jusqu'à trois heures aujourd'hui je croyais pouvoir abdiquer en faveur de mon fils ; mais j'ai changé d'avis : j'abdique en faveur de mon frère Mikhaïl ".
      
      
    La décision du souverain s'explique par sa constante inquiétude pour l'avenir incertain de son fils qu'il préfère pouvoir garder auprès de lui et de ses soins que de le voir livrer au gouvernement qui se servirait de lui à ses fins.
      
      
      
    Mais moins de vingt-quatre heures plus tard, le frère renonce lui aussi au trône et la monarchie est abolie. " C'est à moi qu'est revenu la tâche de l'annoncer à Alexeï, Alexandra étant alors occupée à sangloter ; il a posé bien peu de questions, il comprenait les raisons et les conséquences. Soudain, ses joues virèrent au rouge, il m'invita à le laisser seul ce que je fis après une courte hésitation.
      
      
    Ce virage au rouge de ses joues est selon moi la honte qui l'a submergé à ce moment : il savait pertinemment que la dynastie attendait beaucoup de lui et que sa maladie l'empêchait de pleinement réaliser tout ce qu'on se remettait à lui, il en était mal à l'aise. " a écrit le précepteur peu de temps après qu'il ait informé le Tsarévitch de la nouvelle.
     

    Peu de temps après que la monarchie ait été abolie la situation se dégrade, deux compagnies de l'ancienne garde impériale prennent place, sur quatre rangs, fusils braqués, à moins de 500 mètres du Palais Alexandre. "
      
      
    Le désespoir de la Tsarine dépasse tout ce que l'on peut imaginer "
      
    a écrit Pierre Gilliard alors qu'un nouvel ordre est venu du gouvernement provisoire :
      
    l'Empereur, l'Impératrice et leurs enfants sont en état d'arrestation et mis à disposition du nouveau pouvoir jusqu'à nouvel ordre et il en sera de même pour toute personne n'ayant pas quitté le palais avant 16 heures. " J'ai décidé de rester " a répondu Gilliard à la Dame.
      
      
      
    Et il tint promesse " A quatre heures, la porte du palais fut fermée.
      
      
      
    Nous sommes prisonniers. " Désormais les soldats en faction ne sont plus là pour les protéger, mais pour les garder et quand à ceux qui refusèrent de trahir ceux qu'ils considéraient toujours comme leurs maîtres, ils sont fait prisonniers et enfermés dans les geôles de la capitale ; ils seront plus tard massacrés lorsque Lénine aura pris le pouvoir.
     

    Pierre Gilliard se retrouve ainsi en captivité volontaire.
      
      
      
    " Si j'ai décidé de rester auprès d'Alexeï et de ses sœurs, les premières victimes du naufrage des Romanov, c'est parce que je sais pertinemment qu'Alexandra Feodorovna ne peut pas faire face à la situation, elle avait failli s'évanouir lorsqu'elle eut vent de ce qu'il se passait. " a-t-il écrit. " Lorsque je revis l'Empereur, son visage était pâli et amaigri, on comprend combien il a effroyablement souffert ".
      
      
    Le 3 avril, Aleksandr Fedorovitch Kerensky, alors ministre de la Justice du gouvernement provisoire, est venu au palais pour s'entretenir avec Gilliard sur la question de la santé des enfants : Olga, Tatiana et Anastasia ont la rougeole, Maria souffre d'une pneumonie et Alexeï a la rougeole en plus de sa fragilité habituelle en raison de son hémophilie.
      
      
    Gilliard décrit Kerenski comme un " petit homme très maigre, très pâle, d'expression très maladive. Il se tenait tout le temps la tempe droite comme s'il souffrait d'un mal de tête. Il avait une voix très forte et dure, autoritaire, un regard étrange et fuyant ". C'est de cette personne que le sort des Romanov dépend pendant quelques mois. Gilliard ajoute que, pour Alexeï, la visite de Kerenski a été un choc. "
      
      
    C'est la première fois qu'il voyait son père dans le rôle de subordonné, recevoir des ordres et obéir à qui, à un civil. " La chambre du précepteur devient un véritable point de rendez-vous où tout le monde se réunit pour discuter de la situation et échanger des informations. Il a de longues conversations avec l'homme déchu de son titre dont il partage les préoccupations et l'espace.
      
    Le devenu citoyen Nicolas Aleksandrovitch Romanov lui explique " le mouvement est parti de haut : famille Romanov, aristocratie avant de rejoindre les oppositions du peuple et c'est là qu'ils ont perdus le contrôle «.
      
      
    En parlant de la Douma, il pense que « le mouvement est allé beaucoup plus loin qu'ils ne le voulaient. Ils ne désiraient aucunement la chute de la monarchie, mais un changement de monarque et une constitution. "
     

    Les Romanov demandent au gouvernement provisoire l'autorisation de partir pour Livadia, en Crimée. Une partie des députés acquiescent mais ceux issus du bord le plus extrême des socialistes-démocrates et qui se trouvent en majorité numérique refusent et demandent, ordonnent le durcissement de la condition des prisonniers.
      
    La Finlande et avec elle les frontières suédoise et norvégienne n'est qu'à quelques heures de train, et chacun pense à l'exil de la famille.
      
    Gilliard apprend " le comité de la Douma avait décidé, lorsqu'on a arrêté le Tsar, notre départ pour l'Angleterre. Tout était arrangé, les bateaux étaient commandés.
      
    A cause de la maladie dont souffrait les enfants, le départ a été renvoyé.
      
    Et plus tard, quand du palais, on fit demander de fixer le départ, les enfants allant mieux, c'était déjà trop tard, la Douma n'était plus assez forte pour nous faire partir, le comité des ouvriers et des soldats, les bolcheviques, s'y opposant. " Et peu de temps après, la porte de sortie britannique s'effrite, l'accueil est maintenant refusé.
      
      
    Trotski écrira plus tard qu'aucune révolution sérieuse " n'avait jamais laissé un monarque détrôné gagner l'étranger ".
      
      
    Et la révolution jusque là incertaine et sur le point d'être réprimée d'un moment à l'autre par les cosaques devient sérieuse et l'embrassement à lieu avec le retour de Zurich de Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine le 3 avril 1917 à bord d'un train blindé offert par l'Allemagne impériale qui le croyait capable de déstabiliser la Russie encore plus qu'elle ne l'était à ce moment.

     


    Pierre Gilliard
    Arrière-plan : Maria, Olga.
    Avant-plan : Anastasia, Nicolas.
    1917, Tsarskoïe Selo.
     
    Le gouvernement provisoire n'était plus, à ce moment-là, en mesure de pouvoir permettre aux Romanov de partir, car il était en proie aux pires difficultés avec les rouges. De plus peu d'États se bousculaient au portillon pour les accueillir :
      
    le gouvernement britannique et le Roi Georges V font savoir que les Romanov sont indésirables en terre du pays de William Shakespeare.
      
      
    La France est ensuite contactée mais elle refuse aussi l'exil à celui qui a pourtant été un fidèle allié, à maints prix. A ce moment, Gilliard est sans nouvelles de son pays depuis des mois, cinq plus exactement.
      
      
    A son père, il a écrit être resté " parce qu'il aurait été trop lâche de ma part d'agir autrement ; j'ai prévu toutes les éventualités possibles et je ne suis pas effrayé par ce qui m'attend.
      
      
    J'estime que je dois aller jusqu'au bout... à la grâce de Dieu. Ayant profité de jours heureux, ne dois-je pas partager avec eux les jours malheureux ? "
     
    Pierre Gilliard
    En arrière-plan : Pierre Gilliard et Nicolas Romanov cultivant la terre de Tsarskoïe Selo avec les serviteurs.
     
    Au cours de l'été 1917, Kerenski est devenu ministre de la Guerre et chef du gouvernement, il tente une offensive contre les Allemands, sans succès.
      
      
    Les troupes refusent de monter au front. Il doit faire face aux menaces de coup d'État. Kerenski annonce alors aux Romanov que actuellement le gouvernement est trop fragile pour assurer leur sécurité dans la capitale, ils vont donc les transférer dans une citadelle loin du danger, en Sibérie occidentale.
      
      
      
    Il déclare également que lorsque le péril bolchevique aura été anéanti, un référendum sera déposé et que le peuple donnera son avis sur l'avenir politique du pays : monarchie ou république et qu'en cas de victoire de l'idée républicaine, ils seraient exilés afin d'empêcher de devenir un point de ralliement, sachant que les monarchistes sont loin d'être isolés et peu nombreux.
      
      
    C'est le 14 août 1917, à 6 heures du matin qu'ils quittent Tsarskoïe Selo, ils l'ignorent mais c'est la dernière fois qu'ils voient de leur yeux cette ville, ils n'y reviendront jamais. Seuls quelques suivants les accompagnent volontairement dont Gilliard. Après quatre jours et trois nuits de voyage, ils atteignent Tioumen et font le reste du parcours en bateau, 300 kilomètres jusque Tobolsk.
      
      
    Ils sont logés dans la maison du gouverneur, rebaptisée pour l'occasion
      
    " Maison de la liberté ".
      
    La suite de la famille, une dizaine d'individus, est installée dans la maison Kornilov, de l'autre côté de la rue. Gilliard a ses quartiers dans l'ancien bureau du gouverneur, au rez-de-chaussée d'où il peut tout voir.
      
      
    300 soldats lourdement armés sont positionnés dans et autour de la résidence.
      
      
      
    En octobre 1917, le gouverneur provisoire des modérés est renversé par le coup d'état menant Lénine et les bolcheviques au pouvoir.
      
      
      
    Cette évolution assez naturelle pour une révolution (en effet ce sont bien souvent les pires extrêmes qui tirent avantage lors de toute révolution) aura des conséquences désastreuses pour la famille impériale. Ils ne sont plus seulement un enjeu entre la lutte des révolutionnaires modérés et extrémistes, tous les mouvements en place les réclament :
      
      
      
    bien qu'ils aient été déchus de leur rang ils incarnent plus que jamais un réel pouvoir politique que les uns comme les autres veulent utiliser à leurs propres fins. Ils ne sont désormais plus les protégés du gouvernement de Kerenski mais les prisonniers du gouvernement de Lénine.
      
      
      
    Leur isolement est total, et il est difficile pour eux d'évaluer les risques.
      
      
    « Il nous était toutefois bien difficile de suivre les événements et d'en saisir la portée, car les données dont nous disposions ne nous permettaient ni d'en comprendre les cause ni d'en supputer les conséquences. Nous étions si loin, à tel points isolés du monde entier ! »
     

    Le 22 avril 1918, Vassili Yakovlev, commissaire de Moscou, homme de confiance de Sverdlov, le président du comité exécutif central, a pour mission d'emmener l'ex-tsar et sa famille, mais refuse de donner le nom de la destination.
      
      
      
      
    On l'informe de l'état de santé d'Alexeï, il va vérifier par lui-même et questionne ce dernier. Il prend la décision de séparer la famille en deux groupes : le premier celui du père et le second celui du fils. Le premier part et est composé du Tsar, de la Tsarine et de leur fille Maria, accompagnés de leurs derniers domestiques et du docteur ; seuls le commis du Tsarévitch et Pierre Gilliard sont autorisés à rester avec le second. " Je partirai avec l'Empereur.
      
      
    Je vous confie Alexeï, je sais que Tatiana, aussi forte soit-elle, ne peut résister à Alyosha " lui confia Alexandra. A quatre heures de l'après-midi, le groupe du Tsar quitte Tobolsk vers une destination qu'ils ignorent encore. Après plusieurs jours de trajet, Nicolas et les siens arrivent à Ekaterinbourg où une foule inquiétante et très hostile les attend.
      
      
      
      
      
      
    Ils sont à présent aux mains du pire exemple d'extrémisme qui soit.
      
      
      
      
      
      
    A Tobolsk, Gilliard tente de s'occuper de son mieux des enfants. Avec l'Impératrice, avant son départ, ils ont eu de longues conversations : « J'ai parlé longuement avec l'Impératrice à propos de ses bijoux : elle en a une quantité avec elle.
      
      
    Qu'en faire ? Ceux des enfants sont faciles à transporter mais pas les siens, il y en a trop. « Gilliard et Alexandra eurent alors l'idée de coudre les bijoux dans les doublures des vêtements des Grandes-Duchesses.
     
    Le 20 mai 1918, Gilliard, le commis et les quatre enfants sont transférés de Tobolsk à Tioumen sur le Rus (le même bateau qui les avait emmenés huit mois plus tôt). Les gardes de celui-ci sont nerveux et particulièrement brutaux envers les enfants. Au moment de monter dans le train en gare de Tioumen, sans qu'il s'y attende, Gilliard est séparé des enfants et du garde du corps.
      
      
      
    C'est le 23 mai 1918 qu'il les vit pour la dernière fois : " Le marin Nagorny passait près de ma fenêtre, portant Alexeï Nikolaïevitch dans ses bras, derrière lui vinrent les Grande-Duchesses chargées de valises et de petits effets personnels.
      
      
    J'ai essayé de sortir, mais j'ai été brutalement repoussé dans le chariot par une sentinelle. Je suis revenu à la fenêtre. Tatiana Nikolaïevna est venue en transportant une lourde valise marron. Il pleuvait et j'ai vu ses pieds qui s'enfonçaient dans la boue à chaque instant. Nagorny a tenté de venir à son assistance mais il a été repoussé par un des gardes.
      
      
    " Gilliard l'apprendra plus tard mais la quasi-totalité des fonctionnaires au service des Romanov (et pas uniquement ceux les ayant accompagnés) ont été massacrés sur ordre de Lénine.
      
    Pierre Gilliard, Sydney Gibbes, la Baronne Buxhoeveden et Alexandra Tegleva restent sous bonne garde.
      
    Le soir, le commissaire Rodionov leur annonce qu'ils sont libres.
     
    Pierre Gilliard
    Dernière photo que Gilliard prit des Romanov : Alexeï & Olga le 20 mai 1918.
      
      
    -On peut voir leur extrême fatigue, leur désespoir, leur peine mais aussi sur leur visage, dans leur regard les maux physiques qu'ils ont eu à subir jusqu'ici-
     

     

    Libération et enquête sur l'après Tobolsk.

     


    Gilliard et ses compagnons sont envoyés dans la région de Tioumen où ils doivent se terrer, les bolcheviques locaux y sont vivement contestés et ils massacrent à tour de bras ceux qui ne sont pas " assez soviétisés ".
      
      
    Le 20 juillet 1918, les Tchécoslovaques s'emparent de Tioumen et forment un gouvernement pro-mouvement blanc et donc favorables aux Romanov.
      
      
      
    Gilliard sort alors de sa clandestinité et découvre un communiqué officiel sur les murs de la ville : " La sentence de mort contre le Tsar déchu Nicolas Romanov a été exécutée la nuit du 16 au 17 juillet, la Tsarine et les enfants ont été évacués et mis en lieu sûr. "
      
      
    Mais Gilliard est troublé, d'autres communiqués tout aussi officiels ne parlent que de la Tsarine et du Tsarévitch ; le sort des fille est ignoré.
      
      
      
    Il se rend alors à Ekaterinbourg pour retrouver les enfants impériaux que tous croyaient encore en vie. La localité est alors aux mains des blancs de Koltchak qui accueille bien volontiers Gilliard.
      
      
    Le général du mouvement blanc fait ouvrir une enquête pour retrouver les enfants impériaux qu'on pensait emprisonné dans la région de Perm.
      
      
      
      
    C'est d'ailleurs à partir de ce moment que nombre d'imposteurs vont commencer à voir le jour en se faisant passer pour les enfants Romanov.
      
      
        
    C'est au mois d'août 1918 que Gilliard arrive à Iekaterinbourg, il visite la villa Ipatiev et en restera marqué :
      
    " Je pénétrai avec une émotion intense dans la chambre qui peut-être (j'avais encore un doute) avait été le lieu de leur mort. L'aspect en était sinistre au-delà de toute expression. Les parois et le plancher portaient de nombreuses traces de balles et de coups de baïonnette. On comprenait à première vue qu'un crime odieux avait été commis là et que plusieurs personnes y avaient trouvé la mort.
      
      
    Mais qui ? Combien ? "
      
    S'il était convaincu de la mort des parents, il ne pouvait se résoudre à penser à la mort des enfants, encore moins dans de telles conditions. " Mais les enfants ? Massacrés eux aussi ? Je ne pouvais le croire.
      
      
    Tout mon être se révoltait à cette idée. " Les pièces qui servaient de chambre à la famille sont dans un triste état, ce qui n'a pas été dérobé est soit détruit soit à jamais détériorer. Il passe des mois à faire des recherches mais il rentre finalement à Tioumen.
      
      
    En janvier 1919, il entre au service de l'armée blanche sous le général Janin où il rencontre l'enquêteur officiel et principal, Nicolas Sokolov. "
      
      
    Dès notre première entrevue, je compris que sa conviction était faite et qu'il ne gardait plus aucun espoir. Pour moi, je ne pouvais croire à tant d'horreur. "
      
      
    " Les enfants ont subi le même sort que leurs parents, cela ne fait pas l'ombre d'un doute pour moi ", lui explique Sokolov.
      
      
    Peu après le juge recueille la déposition de l'un des meurtriers, Pavel (Paul) Medviedev, emprisonné à Perm. Il avoue également que tous les membres de la famille de Nicolas Romanov ont été tués, ainsi que le docteur Botkine et trois domestiques, dans les sous-sols de la villa Ipatiev le 17 juillet 1918.
      
      
      
      
    Mais il ne savait pas ce qu'étaient devenus les corps.
      
      
      
    Sokolov avait alors une idée très précise sur le déroulement du massacre. Il entreprend alors avec plusieurs soldats des recherches dans la clairière appelée les " Quatre frères ", en particulier dans le puits désaffecté d'une ancienne mine. Des centaines de cadavres y sont découverts mais aucun ne correspond à l'une des victimes de la maison Ipatiev.

    Gilliard reprend dans son livre les conclusions du juge.
      
      
    Le 4 juillet 1918, le commissaire Iakov Iourovski
    prit le commandement de la prison.
      
      
      
    Il prit avec lui dix hommes, ceux qui seront chargés du meurtre.
      
      
    Pendant quelques jours, il parcourut la région à cheval pour repérer un endroit sûr où faire disparaître les corps.

    Le soir du 16 juillet, Iourovski procure des pistolets à ses hommes.
      
      
    Après minuit, il demande aux Romanov et à leur suivants : Evgueni Botkine, Anna Demidova, Ivan Kharitonov et Aloïs Trupp de se préparer à être transférés dans un lieu plus sûr. A 1h00 du matin, tout le monde est au sous-sol. Le Tsar portait son fils dans ses bras. Deux chaises sont apportées :
      
    la Tsarine s'installe sur celle localisée à gauche et le Tsar installe son fils sur celle de droite pendant que le docteur chuchote quelque chose au plus jeune enfant. Iourovski prétexte qu'il va chercher un appareil photographique pour prouver leur bonne santé auprès du gouvernement, il alla en réalité dans la pièce d'à côté régler les derniers détails avec ses sbires.
      
      
    Puis dans un grand fracas il ouvre la double porte de la cave.
      
      
    Sur le seuil, les douze hommes s'alignent sur trois rangs.
      
    Dehors, le chauffeur du camion met le moteur en marche pour couvrir le bruit du massacre. Iourovski se trouve au premier rang, il sort un papier et le lit rapidement : "
      
      
    Du fait que vos parents et vos esclaves continuent leurs offensive contre la Russie soviétique, le comité exécutif de l'Oural a pris le décret de vous fusiller avec l'accord du Président de la république fédérative socialiste soviétique de Russie, Vladimir Illitch Oulianov. "
      
      
    Le meurtre se déchaîne aussitôt, dans le désordre le plus absolu.
      
      
    Ils ne font pas ce qu'il leur a été ordonné, leur état de raison n'est plus devant l'immensité de leur ivresse et la plupart d'entre eux visèrent le Tsar qui au choc des impacts est projeté en arrière et s'effondra, mort sur le coup.
      
      
    Alexandra et Olga sont ensuite touchées ainsi que Trupp et Kharitonov, de la fumée encombre la pièce que les bolcheviques évacuent quelques instants.
      
      
    Ensuite le massacre prend un tour infernal et dantesque.
      
      
    Selon Iourovski, le Tsarévitch était effondré par terre et faisait preuve d'une
    « étrange vitalité « : il rampait sur le sol en se protégeant la tête de la main.
      
    Un garde du nom de Nikouline, maladroit ou trop énervé, vida sur lui un chargeur sans réussir à le tuer.
      
      
    « Malgré les blessures qu'on lui avait infligées, il rampait encore, malgré le sang qui coulait abondamment et ses quelques gémissements qu'il tentait de masquer «
    a écrit Iourovski.
      
    Ce dernier donne alors l'ordre qu'on s'acharne sur lui, des dizaines de coups de baïonnette lui sont assénés, son corps est transpercé de part en part.
      
      
    Mais cela ne suffit pas, s'il ne parvient plus à se déplacer il respire encore ; Iakov Iourovski tourne le corps afin de voir le visage du garçon et lui tire trois balles dans la tempe droite.
      
      
    " Au moment où je croisa son regard, j'ai été comme paralysé quelques secondes. Ses yeux n'exprimaient ni la peur ni le dégoût, ils semblaient vides d'une quelconque émotion.
      
      
    J'ai baissé les yeux et j'ai alors remarqué qu'il venait de fermer ses poings tandis qu'il ne gémissait plus, et que d'une main il touchait du bous des doigts la chemise de son père ; c'est alors que je tira trois coups. " a écrit le bourreau.
      
      
    Le sort des jeunes filles fut tout aussi horrible :
      
    les projectiles ricochaient sur leurs corsets où elles avaient cousu des bijoux et des pierres précieuses pour éviter que l'on ne leur dérobe.
      
    Blessées mais pas suffisamment pour succomber, Iourovski dira, plus tard, qu'elle étaient " blindées " (ce détail, une fois rendu public, alimentera les rumeurs de survie).
      
      
    Anna Demidova fut aussi très longue à mourir, les corps des autres fonctionnaires l'ayant protégé.
      
      
    Pour s'assurer de la mort de tout le monde, on transperce encore et encore tous les corps avec couteaux et baïonnettes.
      
      
    Les dépouilles ensanglantées furent ensuite emmenées en camion dans une clairière au milieu de la forêt de Koptiaki.
      
      
      
      
    Arrosés d'acide sulfurique, brûlés et démembrés voilà ce que subirent les corps et d'autres avant d'être ensevelis dans deux fosses communes.

    En 1990, les corps du Tsar, de la Tsarine, d'Olga, de Tatiana et d'Anastasia furent retrouvés. Manquaient les corps de la Grande-Duchesse Maria et du Tsarévitch Alexeï, dont les restes ont été probablement retrouvés en juillet 2007, le débat étant encore en cours.
      
      
    Tout au long du XX siècle et encore de notre siècle, des dizaines de personnes se sont faîtes passées pour les enfants dont la plus célèbre fut sans nul doute une polonaise, Franziska Schanzkowa (plus connue sous le nom d'Anna Anderson).
      
      
      
    On sait aujourd'hui, preuve ADN à l'appuie, que ce fut une fumisterie comme le démontra Gilliard dans son livre " La fausse Anastasia " paru en 1929.
      
      
    Mais il participa également à poursuivre farouchement Alexeï Putsyato qui se déclara être le Tsarévitch.

    Cette fidélité qu'il accorda aux Romanov par de-là la mort lui coûtera cher, tant il est impossible de lutter contre une légende :
      
    " Nous nous laissons toujours exploiter avec tout ce que cela coûte : les embêtements, les soucis, l'argent que cela m'a coûté pour des gens qui se foutent de moi, ça c'est la gaffe de ma vie. C'est notre Don Quichottisme qui vous vaut tous ces embêtements. - "
      
    pour des gens qui se foutent de moi " il ne parle pas de la famille impériale
    mais des autres Romanov -

     

    Mort et héritage.

     


    En quittant Iekaterinbourg, après l'enquête, Gilliard écrivit : "
      
    Ce fut pour moi le désespoir de sentir vains tous mes efforts, ce fut la séparation cruelle et brutale. "
      
    C'est ainsi, dans le drame et la peine que le chapitre russe de sa vie se termina. "
      
      
    Il trouva moyen de survivre à la guerre civile opposant grosso modo les rouges et les blancs puis de regagner la Suisse avec Alexandra Tegleva qu'il finira par épouser.
      
      
      
      
    Pendant des années, il aura le sentiment pénible d'avoir tout perdu lors de la mort des enfants Romanov, il s'était attaché profondément à eux, treize années durant qu'il avait passé à leurs côtés.
      
      
      
      
    Il avait participé à leur éducation, leur avait donné le meilleur de lui-même, les avait suivis durant leur emprisonnement et partagé avec eux les moments difficiles d'une chute à laquelle ils n'étaient guère préparés.
      
      
    Pierre Gilliard n'était pas nostalgique mais extrêmement révolté que ce crime odieux ait été perpétré contre les enfants qu'il avait appris à connaître et à aimer. "
      
      
    Je ne serai jamais apte à saisir la gloire que les bolcheviques ont obtenue à assassiner ces enfants dont le plus jeune n'avait pas encore quatorze ans " cet épisode de sa vie resta à jamais un très mauvais souvenir. "

    En Suisse, Gilliard a reprit ses études qu'il termina à quarante ans, les études qu'il avait interrompues en 1904.
      
    Il travailla quelques temps en Italie et en 1926, il enseigna à l'école de français moderne de la faculté des lettres de l'université de Lausanne. I
      
      
    l y devint professeur en 1937, puis directeur jusqu'en 1949.

    C'est le 30 mai 1962 à Lausanne qu'il s'est éteint, des suites des blessures qu'il a reçues lors d'un accident de voiture en 1958, d'un infarctus.
      
    Ainsi est mort celui qui partagea la tragédie russe des Romanov.
      
    Son héritage est composé des centaines de photographies qu'il a put ramener avec lui ainsi que des écrits et des mémoires sur la vie de
    cette ultime famille impériale russe.

     

    Ci-dessous, une vidéo sur les Romanov :

     

     

     

     

    http://fictions-chao-druty.skyrock.com/tags/gfgAOafnjVE-Professeur.html

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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