• Lettre inédite d'un OFFICIER Russe, Saint Pétersbourg, le 1 mai 1902 - LAURENT BRAYARD

     

     

     

     

    Dans l'ombre de la Révolution, Un officier Russe à Saint-Pétersbourg 

    Lettre inédite d'un officier russe, Saint-Pétersbourg, 2 mai 1902
     
     
     

     


    En 1902, la Russie est déjà sujette depuis longtemps à une agitation populaire révolutionnaire active et subversive.
     
    Entrée dans l'ère de la Révolution industrielle tardivement, elle n'en a pas moins réalisée des progrès colossaux au niveau de son économie. Le capital, en provenance de l'étranger ou des grandes fortunes du pays a développé de grandes usines, la Russie est alors un immense chantier. Le pays est gigantesque, la tâche a effectué énorme pour transformer ce pays en une très grande puissance industrielle.
     
    En 1902, fort de l'alliance déjà vieille d'une décennie avec la France, la Russie malgré son système politique possède en Europe un gros capital de sympathie. A l'intérieur, le vieux système autocratique des tsars est toujours en vigueur. Les tentatives de réformes qui ont été entamées sont en partie paralysées à la fois par la résistance des élites aristocratiques au pouvoir mais aussi et surtout par l'extrémisme des révolutionnaires.
     
     
     
     
    Lorsque mourrait Alexandre II dans un attentat à la bombe en 1881, le tsar le plus libéral et le plus réformateur de la Russie venait de mourir. Paradoxalement, l'ouverture qu'il avait entamé en Russie voyait également la naissance de groupes terroristes, nihilistes et anarchistes qui souhaitaient sa mort.
     
    Aucune des grandes réformes qu'il réalisa, à savoir l'abolition du servage, la réforme de la justice et bien d'autres ne purent apaiser ce ferment révolutionnaire qui grandissait en Russie.
     
     
    Son fils Alexandre III qui règna jusqu'en 1894, considérait que les réformes entamées par son père étaient des erreurs, le mal qui avait déclenché la fièvre révolutionnaire. De cette date, l'autocrate réactionnaire dépensa son énergie à défaire ce que son prédécesseur avait déjà réalisé. En réalité loin d'éteindre le feu, les mesures répressives et arbitraires ne firent que laisser des blessures dans le Peuple, de plus en plus vives et amères.
     
    L'ouverture de la Douma après la Révolution de 1905
     
    Nicolas II, souverain doux et affable, n'était toutefois pas l'homme de la situation. C'est un homme d'intérieur, entouré d'une femme nerveuse et inquiète et de ses filles qu'il adorait (Olga 1895, Tatiana 1897, Maria 1899, Anastasia 1901). Un unique garçon va naître en 1904 mais se révèlera fragile et malade.
     
    Par la suite, Nicolas II sera victime des circonstances et de ses doutes, ayant toujours redouté et presque regretté d'être à la tête de ce si grand pays.
     
    Un peu à la manière d'un autre souverain qui comme lui fut englouti dans un cataclysme : Louis XVI. Dans cette Russie en mutation, coupé probablement également de la réalité, il hésite, il poursuit une politique, celle de son père qui n'était pas la sienne. Son peu d'imagination ne pouvait lui permettre d'en initier une de son propre fait. Doucement mais sûrement, il marchait vers sa propre fin et celle d'une Russie plusieurs fois centenaire.
     
     
    Autour de lui, l'ère industrielle a transformé déjà le paysage social du pays.
     
    L'industrie a créé une catégorie sociale nouvelle, l'ouvrier, un homme du peuple peu instruit, pauvre, issu des franges les plus misérables de la paysannerie et venu en ville pour trouver du travail et faire vivre (chichement) une famille. Ils sont des milliers dans les grandes villes, parfois à la limite de la subsistance.
     
    Parmi eux, la maladie, la mortalité infantile, les accidents du travail, les grossesses précoces et à répétition aggravent leurs souffrances. Dans les campagnes avant l'ère industrielle, ils vivaient mal, mais ils pouvaient vivre du sol. En ville dans les fumées et la saleté des usines, ils survivent et ils meurent.
     

    Cette condition atroce des classes les plus défavorisées contrastent avec l'opulence de l'aristocratie tandis que la croyance religieuse et la domination et l'influence de l’Église orthodoxe diminuent dans la foulée des grands événements en Europe durant le XVIIIe et XIXe siècle.
     
    La foi religieuse est remise en question par des révolutionnaires, le pouvoir du Tsar également, une nouvelle religion et en train de naître, une nouvelle foi, le socialisme. Une haine durable et vive s'installe doucement. La lettre qui va suivre, indique clairement que l'année 1905 ne fut qu'une conséquence de l'état d'esprit qui déjà dominait la société russe plusieurs années plus tôt.
     
    Ce qui éclate après le dimanche rouge où les troupes du Tsar ouvrirent le feu sur une foule désarmée où se trouvaient beaucoup de femmes et mêmes des enfants était déjà en gestation. Les codes révolutionnaires étaient déjà en place, nous le voyons clairement lorsque l'officier indique que des forces militaires et de police présentent à Saint-Pétersbourg le 1 mai 1902, étaient en alerte et qu'il y avait une grande crainte des démonstrations de force populaires pour la fête symbolique et socialiste du travail.
     
    Le Dimanche rouge
     
    Nous ne connaissons rien de cette lettre attachante. Elle nous a été fourni par Bernard Felli, du fond de ses archives. Personne ne peut dire non plus qui était Alexandre, le doux et aimant Sacha, un officier francophone et francophile qui écrivait quelques mots attentifs et emprunt d'une grande tendresse.
     
    Dans quelle unité servait-il ? L'une de celles de la garnison de Saint-Pétersbourg, peut-être un régiment de la Garde ? L'homme s'exprime dans un français parfait, révélant une éducation poussée et complète, peut-être même quelques voyages en Europe et en France.
     
    En plus de son témoignage exceptionnel sur l'état d'esprit de la capitale des Tsars, Sacha nous apporte la preuve qu'en ce tout début du XXe siècle, la puissance et l'aura de la culture française et de sa langue étaient énormes. Les cataclysmes des guerres mondiales n'étaient pas encore passés par là.
     
    Certes, depuis Waterloo, la première puissance mondiale incontestée, c'était la Grande-Bretagne. La Reine Victoria était morte seulement l'année précédente en 1901. Mais la France gardait une importante suprématie, à bien des titres, Paris était la capitale du Monde, la Capitale du bon goût, de la culture, du savoir vivre et d'une idée universelle de la condition des hommes alors en complète opposition avec la Russie autocratique de Sacha : Liberté, Egalité, Fraternité.
     
     
     
     
    Qu'advînt-il de Sacha pour que cette lettre un jour se retrouve quelque part en France en 2014 ? Fut-il tué durant la Première Guerre mondiale, durant la Révolution ?
     
    Qui était-il, lui qui écrivait sur un joli papier à entête, orné d'une splendide couronne dorée ? Nous ne le saurons jamais.
     
    S'il ne survécut pas à l'orage, il semble bien que sa femme et sa famille aient pu émigrer, probablement dans cette France idéalisée qui pourtant ne fit rien ou si peu pour venir à la rescousse d'un allié (certes étrange pour une république) qui sauva certainement la France d'un désastre en 1914.
     
    Voici donc la lettre de Sacha :
     
    "1 mai 1902, Saint-Pétersbourg, mon adorée petite Mia. J'espère que votre voyage se sera bien effectué et que tu n'as pas trop souffert en route. J'ai eu le chagrin de voir dans le journal que le temps n'était plus aussi chaud à Isensa que les derniers dix jours. Pourvu que le froid ne vienne pas chez vous. Ici, il a fait très beau toute la journée, 8° C à l'ombre.
     
    Cette nuit, j'ai été réveillé vers 4 heures par un télégramme ordonnant d'envoyer une compagnie de soldats dans un quartier éloigné de la ville. On craignait des troubles d'ouvriers vu que c'est le 1er mai. J'ai passé la nuit accroché au téléphone et ne me suis recouché que vers 7 heures pour me lever avant huit heures.
     
    Toute la journée j'ai eu immensément à faire et même toute la soirée j'ai dû travailler. Heureusement il n'y a pas eu de troubles. Cependant ce n'est qu'à huit heures du soir qu'on a autorisé à notre compagnie de rentrer. Elle a passé la journée non loin de l'endroit où demeure Dama.
     
    On a commencé à travailler au lavage, essuyage d'été dans l'appartement. Demain on va enlever les rideaux et les tapis. Je n'ai vu personne aujourd'hui n'ayant été nulle part d'autre qu'aux casernes.
     
    Que Dieu te garde, je te couvre de baisers.
     
    Embrasse les enfants, Grand maman n'a t-elle pas trouvé l'air révolutionnaire à tous les paysans que vous avez rencontrés en route ?
     
    Ton Sacha"
     
    Mars 1917, cette fois-ci la Révolution est faite...
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