Alors que le train qui amène Nicolas II, sa famille et quelques domestiques arrive à Ekaterinbourg, Pierre Gilliard est séparé du groupe et mis sous bonne garde dans un wagon de 4e classe.
Après la tuerie, il est libéré ce qui lui permet de faire une enquête qui narre dans ce livre témoignage. En mars 1920, il se retrouve à Kharbine où il rencontre le général Ditériks et N. Solokof sous la menace des rouges. «Que faire des documents de l'enquête ? Ou les mettre en lieu sûr ?»
Une tentative de les remettre au haut commissaire d'Angleterre sur le départ pour Pékin échoue car ce dernier refuse. C'est en contactant le général Janin de la Mission militaire française qui se trouvait à Kharbine.
Ce dernier accepte car «il ne sera pas dit qu'un général français aura refusé les reliques de celui qui fut le fidèle allié de la France».
Alors qu'il charge les caisses dans le train de la Mission française, un groupe de quelques individus tentèrent de l'empêcher.
Mais il court et ainsi, le 19 mars 1920, le coffret contenant les reliques de la famille impériale est à l'abri. Où est-il maintenant?
«Plus rien ne me retenait en Sibérie. J'avais le sentiment d'avoir rempli envers ceux auxquels m'attachaient de si poignants souvenirs, le dernier devoir qu'il me fut possible de leur rendre sur le sol même où s'était accomplie leur tragique destin.»
“Précepteur des Romanov: le destin russe de Pierre Gilliard”
de Daniel Girardin, Actes Sud, 2005. BDG Td 786
Dans “Précepteur des Romanov: le destin russe de Pierre Gilliard” de Daniel Girardin, ce dernier décrit plus en détail le voyage de retour en Suiisse de Pierre Gilliard. Après avoir été arrêté dans un wagon durant la nuit du massacre de la famille des Romanov, Gilliard est libéré. Le 8 novembre 1919, il quitte Omsk cinq jours avant que les troupes bolcheviques prennent la vie.
En page 13, Girardin écrit: «Citoyen d'un pays neutre, Gilliard se bat aux côtés des Alliés sous l'uniforme français. Un fait rare, passible même de prison en Suisse.» Pierre Gilliard rejoint le général Janin, qu'il avait connu à Moghilev, au quartier général russe en 1915, et qui était chargé d'organiser la retraite à travers toute la Sibérie, d'Omsk à Vladivostock.
Page 15, «Gilliard relate les rapports faisant état de dépôts entiers trouvés par les bolcheviques, lors de leur avance fin 1919, et qui contenaient tout ce qui avait été volé aux Alliés par l'entourage de Koltchak pour son profit personnel: des milliers de selles, des centaines de milliers de bottes et d'uniformes envoyés par les Anglais, des tonnes de nourriture, des munitions, des armes, et même l'argent que le Mikado envoyait au titre de l'aide de guerre…
Dans un rapport confidentiel rédigé par Gilliard pour le département des Affaires étrangères, dès son retour en 1920, il exprime de vives critiques à l'encontre des Anglais et des Français : S'il s'était trouvé alors en Sibérie des représentants de l'Entente doués d'un sens politique réel, ils auraient compris que seul un gouvernement dans la formation duquel figureraient en majeure partie les éléments de gauche donnerait des garanties suffisantes et serait susceptible de grouper toutes les forces dans la lutte contre le bolchevisme.
Gilliard rappelle que les gouvernements de Samara et d'Omsk, renversés par Koltchak, comprenaient des membres de la Constituante élus sous le gouvernement Kerenski, et que Ie dictateur s'entoura soit de personnalités qui n'avaient rien oublié et rien appris, soit de personnages qui mirent à sac la caisse publique et couvrirent toutes les infamies commises par leurs subordonnés.
Au printemps 1919, lorsque les troupes françaises et anglaises sont évacuées, Gilliard pense à rentrer en Suisse : Me sentant mal en point, j'étais bien décidé à ne pas laisser ma carcasse dans ce trou puant d'Omsk et à me barrer au plus tôt, écrit-il à son père, dont il n a plus aucune nouvelle depuis plus de dix-huit mois.
Mais il a quelques bonnes raisons de rester encore en Russie. D'abord il collabore étroitement à l'enquête sur l'assassinat de la famille impériale avec le juge d'instruction Nicolas Sokolov, qui est devenu un ami.
Je ne voudrais pas quitter la Russie avant que l'enquête sur le meurtre ait été terminée. En effet ce drame effroyable est encore loin d'être éclairci, il y a encore bien des points qui n'ont pas été établis avec certitude et l'on ne sait encore les circonstances dans lesquelles la famille a péri. Je crois cependant que l'enquête va aboutir et qu'on sera bientôt fixés sur ce point.
A Omsk, au service de l'état-major, Gilliard est bien placé pour suivre l'enquête, supervisée directement par le bras droit de Koltchak, le général Mikhail Dieterichs.
Dieterichs s'intéresse au dossier à titre personnel parce qu'ill espère mettre la main sur les bijoux des Romanov, ceux d'entre eux du moins qui auraient échappé aux bolcheviques et qu'il pense cachés dans un endroit secret.
From left: Vassili Dolgurukov, Pierre Gilliard, Countess Anastasia Hendrikova, Baroness Sophie Buxhoeveden, Countess Benckendorff (seated), Count Benckendorff, unknown; photo taken July 31, 1917.
En quoi il n'a pas tout à fait tort.
En septembre 1919, Gilliard est sur le point de quitter la Sibérie. Il y renonce momentanément en raison de l'insistance de Janin, qui n'a à disposition que peu d'officiers maîtrisant parfaitement le russe.
Difficile pourtant de se battre si loin pour une cause si douteuse, quand partout ailleurs c'est la paix.
Above: Tatiana holds her dog Ortino in her lap with her sister Anastasia alongside. This photo was taken in the Imperial Park during their imprisonment.
C'est que lorsque j'ai parlé de me mettre en route, on m'a demandé de rester encore quelque temps. J'aurais été bien mal venu de répondre par une fin de non-recevoir.
En Sibérie, il a des soucis financiers, car tour est hors de prix. Il a beaucoup dépensé lorsqu'il était en captivité à Tobolsk avec l'empereur et sa famille. Il a aussi généreusement aidé nombre d'amis restés dans la capitale, achetant et envoyant tout ce qu'il pouvait trouver sur place.
From the left; a palace servant, a guard and Grand Duchess Tatiana; carrying sod in the Alexander Palace park during the imprisonment of the Imperial Family
Le retour en Europe par bateau depuis Vladivostok, si par miracle il peut embarquer coûtera au moins 10'000 roubles, dix fois le prix d'un trajet normal Moscou-Lausanne par voie terrestre !
Et Glilliard a besoin de deux billets, car il ne rentre pas seul. Il veut emmener Alexandra Alexandrovna Tegleva, son amie. La situation de sa compagne est très délicate, car elle a travaillé dix ans pour les Romanov.
Countess Anastasia Hedrikova and Baroness Sophie Buxhoveden in 1917
A ce titre, elle est directement menacée, aucun proche de la famille n'ayant été épargné. Russe et en pleine guerre civile, il lui est difficile d'obtenir un passeport pour partir à l'étranger. Par crainte de représailles autant que par pudeur, Gilliard ne parle pratiquement jamais d'Alexandra, qu'il épousera en 1922 clans la très belle église de Grandson, à quelques kilomètres de la propriété familiale de Fiez.
Alexandra Tegleva était gouvernante des grandes-duchesses, qui l'appelaient Sasha. Anastasia, dont elle avait la charge éducative, l'appelait Shura. Au service impérial, il y avait une règle incontournable, celle du célibat imposé aux employés de confiance qui partageaient la vie de la famille.
ce qui explique peut-être qu'elle ait été si proche de Gilliard pendant toutes ces années sans qu'il soit fait état de leur relation. Il l'a en revanche beaucoup photographiée.
Après la révolution de février 1917, Alexandra Tegleva partagea la captivité des Romanov à Tsarkoïe-Selo puis à Tobolsk. Elle vivra ensuite avec Gilliard à Tioumen, d'abord dans un wagon puis, malade, chez un marchand qui les recueillera.
Ils resteront ensuite à Omsk avant qu'elle ne rejoigne Verkhné-Oudinsk, une ville sous contrôle japonais le long de la ligne du transsibérien. Pour l'instant elle y est en sécurité avec la femme du général Dieterichs.
Toutes deux s'occupent d'un orphelinat qu'elles ont emmené lorsque les combats se sont approchés d'Omsk.
Gilliard, qui est dans le transsibérien, espère Ia revoir dans quelques semaines si tout va bien, après des mois de séparation.
A Novo-Nikolaïevsk, à 500 kilomètres seulement d'Omsk, vingt-deux convois ont déjà été repris par les bolcheviques, qui en captureront encore cent soixante au moins dans les semaines suivantes. Les attaques, les grèves et la pénurie de charbon contribuent à retarder les trains.
Le 16 décembre 1919, Gilliard est bloqué avec Janin en gare d'Irkoutsk par une insurrection socialiste-révolutionnaire. Les combats se poursuivent durant plusieurs jours, puis les troupes gouvernementales passèrent les unes après les autres aux insurgés.
Le train de Gilliard quitte Irkoutsk au moment où celui de Koltchak entre en gare, traqué par la cavalerie bolchevique…
Page 20: A Verkhné-Oudinsk, Gilliard rejoint Alexandra Tegleva. Tous deux repartent à la fin du mois de janvier 1920 par le train personnel du général Janin. […]
Maison Ipatiev
A la fin du mois de février, ils atteignent Harbon où Gilliard retrouve Nicolas Sokolov qui garde nuit et jour son précieux dossier d'enquête, ainsi qu'une malette de cuir contenant des restes humain trouvés dans la clairière des Quatre-Frères, près de Ekaterinbourg, réputé être de la famille impériale.
Page 21. Gilliard persuade alors le général Janin de prendre à titre personnel les exemplaires du dossier en leur possession et de les acheminer en France, avec la malette de restes humains.
C'est ainsi que le 20 mars dans la nuit noire, Gilliard, Solokov et Dieterichs transportent les trois lourdes valises de documents dans le train de Janin, en gare d'Harbin.
Page 22. Au dernier moment, ils sont interceptés par des individus armés. Nous nous élançâmes au pas de course et, un instant plus tard., nous arrivions au wagon du général dont les sentinelles s'étaient portées à notre rencontre. Le lendemain, Dieterichs amène encore à Janin un lot de morceaux d'os calcinés, de graisse humaine et de cheveux qui avaient été récupérés par les enquêteurs.
Janin emmène les documents er les restes humains à Pékin, puis Shanghai, d'où ils sont embarqués le 20 mai 1920 avec les documents personnels et les photographies de Gilliard. Le tout arrivera en juillet 190 à Marseille. Janin avait prévu de remettre les dossiers et la mallette au grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, un oncle du tsar déchu, réfugié en France.
Mais personne ne viendra réceptionner les colis sur le quai.
Le grand-duc ne croit pas encore à la mort de Nicolas Romanov et il réfute l'enquête menée par un juge qu'il croit être socialiste. Les dossiers et la mallette seront alors remis trois mois plus tard à Michel de Guirs, le chef de la diplomatie russe blanche en exil, qui cachera les dossiers dans le coffre d'une banque parisienne, d'où ils seront emmenés par les nazis pendant la guerre pour être ensuite récupérés, en partie du moins, par les Soviétiques, cette fois à Berlin.
Les restes humains sont emmurés depuis 1950 à Uccle, dans l'église saint-Job (Patriacat de Moscou, Eglise russe orthodoxe hors frontières, Paroisse Saint-Job, Uccle (Bruxelles), qui est consacrée à la famille impériale.
Au début du mois d'avril 1920, Pierre Gilliard et Alexandra Tegleva atteignent enfin Vladivostok.
Grâce au général Janin, tous d'eux trouvent place à bord d'un navire américain. Un vrai miracle. Mais à leurs frais, précise Gilliard. Ils montent avec soulagement à bord de l'ancien Kronprinzessin Cäcilie, une prise de guerre rebaptisée Mount Vernon. Le tirant d'eau du paquebot est si important qu'il ne peut passer par le canal de Suez.
Page 23: voilà embarqués pour une traversée du Pacifique, de l'Atlantique et de la Méditerranée, suivant une route qui passera successivement par le Japon, San Francisco, le canal de Panama et Gibraltar.
De Norfolk, le 19 juin 1920, où ils sont bloqués trois semaines en raison d'une avarie, Gilliard écrit à son père : J'ai encore peine à croire que Je suis sorti de cet enfer qu'est la Sibérie depuis six mois.
Ce que j'ai vu de misères et d'horreurs dépasse tout ce que vous pouvez imaginer.
J'ai hébergé dans ma chambre à Omsk la princesse Galitzine et ses cinq enfants, dont un bébé de deux ans, mais je n'ai pas pu les sauver […] J'ai été plus heureux pour la famille Lapouchine [illisible] que j'ai pu ramener en Chine où elle est pour le moment en sûreté.
Le 9 août, Gilliard et sa compagne débarquent à Trieste. Après avoir transité par Prague où Gilliard devait encore être déconsigné - il voyage depuis Vladivostok avec le statut d'officier de l'armée tchèque -, ils rejoignent enfin la Suisse.
J'avais passé près de trois ans en Sibérie dans les circonstances les plus tragiques qui se puissent imaginer. Et je gardais tout vibrant le souvenir du drame poignant auquel j'avais été si intimement mêlé. J
e venais d'assister à l'effondrement d'un des plus grands empires qui fut au monde aux côtés de ceux qui en avaient été les maîtres.
Mais Gilliard n'est pas au bout de ses surprises. Il découvre dans la presse d'innombrables récits dans lesquels se mêlent rumeurs et désinformations. Nombre de grandes-duchesses et de faux tsarévitchs apparaissent en Allemagne, aux Etats-Unis, en France et en Allemagne.
Un véritable fantasme qui va se prolonger durant tout le XXe siècle, et dont la fausse Anastasia, bête noire de Gilliard, deviendra bientôt l'expression la plus populaire.
Mais lorsqu'il lit dans un journal le récit de sa propre mort, soi-disant fusillé aux côtés de la famille impériale, et ceci par un “témoin oclaire”, il décide de réagir. Il entame une série d'articles pour la revue L'Illustraton, qui formeront le corps d'un livre qu'il publiera bientôt.
Pierre Gilliard, Sur le bolchevisme, rapport dactylographié de 9 pages, 1920, BCU/Lausanne/fonds Pierre Gilliard/IS 1916, Ab 8.
http://www.fonjallaz.net/Communisme/N2/Massacre-famille-tsar/pierre-gilliard/epilogue.html
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Le destin tragique destin de Nicolas II et de sa famille, Pierre Gilliard, Payot, Paris, 1922, BDG Te 7336
Treize années à la cour de Russie par Pierre Gilliard, ancien précepteur du grand-duc héritier Alexis Nicolaïévitch
D'où est extrait le chapitre 22
Epilogue et retour en Suisse.
Où se trouvent les documents et reliques ramenés par Pierre Gilliard?
Précepteur des Romanov, le destin russe de Pierre Gilliard, Daniel Girardin, Actes Sud, 2005
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Emprisonnée à Tsarko-Celo, la famille Romanov crée un potager
Ensuite, forcés à l'exil, ils sont emprisonnés à Tobolsk
La famille impériale prend le chaud
De ce témoignage de Pierre Gilliard, il ressort que:
- Le tsar Nicolas II a été tué parce qu'il était totalement opposé à la capitulation de Brest-Litovsk, traité par lequel remplit son contrat avec l'Allemagne impériale qui lui a permis de rentrer en Russie avec 40 millions de marks-or.
- Lénine et Sverdlov sont les commanditaires de cette tuerie.
- (Page 254) Le régime de Lénine a fait organiser un procès pour accuser les Socialistes-Révolutionnaires. «En septembre 1919, vingt-huit personnes, accusées faussement d'avoir pris part au meurtre de la famille impériale, sont arrêtées par eux à Perm et jugées. Cinq d'entre elles sont condamnées à mort et exécutées.»
- (Page 254) Dans la nuit du 17 au 18 juillet, vingt-quatre heures après le crime d'Ekaterinbourg, on vint chercher et, sous prétexte de les emmener dans une autre ville, on les conduisit en voiture à quelque douze verstes d'Alapaevsk. c'est là, dans une forêt, qu'ifs furent mis à mort. Leurs corps furent jetés dans un puits de mine. Il s'agit de: La grande-duchesse Elisabeth Féodorovna, soeur de l'impératrice, le grand-duc Serge Michailovitch, cousin de l'empereur, les princes Jean, Constantin et lgor, fils du grand-duc Constantin, et le prince Parée, fils du grand-duc Paul, avaient été arrêtes au printemps 1918 et conduits dans la petite ville d'Alapaevsk, située à cent cinquante verstes au nord d'Ekaterinbourg.
- Le 20 juillet, le gouvernement de Lénine annonce l'exécution de Nicolas II mais prétend que la famille de Romanof a été transférée d'Ekaterinbourg dans un autre endroit plus sûr.
- Page 250: Pourquoi ces hommes prennent-ils tant de soin à faire disparaître toute trace de leur action ? Pourquoi, alors qu'ils prétendent faire oeuvre de justiciers, cachent-ils comme des criminels ? Et de qui se cachent-ils ?
CHAPITRE XXII
LES CIRCONSTANCES DU CRIME ÉTABLIES PAR L'ENQUETE 236
Dans les pages qui vont suivre, j'exposerai les circonstances du meurtre de la famille impériale, telles qu'elles ressortent des dépositions des témoins et des pièces de l'instruction. Des six forts volumes manuscrits où elle est consignée j'ai extrait les faits essentiels de ce drame au sujet duquel, hélas ! ne subsiste plus aucun doute. L'impression que l'on ressent à sa lecture de ces documents est celle d'un effroyable cauchemar, mais je ne me crois pas le droit d'en atténuer l'horreur.
Vers la mi-avril 1918, Yankel Sverdlof, président du comité exécutif central à Moscou, cédant à ta pression de l'Allemagne (1), envoya le commissaire Yakovlef à Tobolsk pour procéder au transfert de la famille impériale. ce dernier avait reçu l'ordre de la conduire à Moscou ou à Pétrograd. Il rencontra toutefois dans l'exécution de sa mission une résistance qu'il s'efforça de vaincre, ainsi que l'a établi l'enquête. cette résis-
1. Le but que poursuivait l'Allemagne, c'était une restauration monarchique en faveur de l'empereur ou du tsarévitch, à la condition que le traité de Brest-Litovsk fût reconnu. et que la Russie devint l'alliée de l'Allemagne. Ce plan échoua grâce à ta résistance de l'empereur Nicolas II qui fut probablement victime de sa fidélité à ses Alliés.
LES CIRCONSTANCES DU CRIME 237
tance avait été organisée parle gouvernement régional de l'Oural, dont le siège était à Ekaterinbourg. C'est lui qui prépara, à l'insu de Yakovlef, le guet-apens qui devait permettre de s'emparer de l'empereur à son passage. Mais il paraît établi que ce projet avait reçu l'approbation secrète de Moscou. Il est plus que probable, en effet, que Sverdlof joua double jeu et que tout en feignant d'obtempérer aux instances du général baron de Mirbach, à Moscou, il s'entendit avec les commissaires d'Ekaterinbourg pour ne pas laisser échapper le tsar. Quoi qu'il en soit, l'installation de l'empereur à Ekaterinbourg fut une improvisation. En deux jours, le marchand lpatief était délogé de sa maison, et l'on se mit à construire une forte clôture de planches qui s'élevait jusqu'au haut des fenêtres du deuxième étage.
C'est là que furent conduits, le 30 avril, l'empereur, l'impératrice, la grande-duchesse Marie Nicolaïévna, le Dr Botkine et les trois serviteurs qui les accompagnaient: Anna Démidova, femme de chambre de l'impératrice, Tchémadourof, valet de chambre de l'empereur, et Sèdnief, valet de pied des grandes-duchesses.
Au début, la garde était formée de soldats que l'on prenait au hasard et qui changeaient fréquemment. Plus tard, ce furent exclusivement des ouvriers de l'usine de Sissert et de ta fabrique des frères Zlokazof qui la composèrent. Ils avaient à leur tête le commissaire Avdief, commandant de «la maison à destination spéciale» - s'est ainsi que l'on désignait la maison Ipatief.
Devenue «maison à destination spéciale», une double palissades en fait une prison, préparation de la tuerie
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grossiers et s'ingéniait avec ses subordonnés à infliger chaque jour de nouvelles humiliations à ceux dont it avait la garde. Il fallait accepter les privations, se soumettre aux vexations, se plier aux exigences et aux caprices de ces êtres vulgaires et bas.
Dès leur arrivée à Ekaterinbourg, le 23 mai, le tsarévitch et ses trois soeurs furent conduits à la rnaison Ipatief où les attendaient leurs parents. Succédant aux angoisses de la séparation, cette réunion fut une joie immense, rnalgré les tristesses de l'heure présente et l'incertitude d'un avenir menaçant.
Quelques heures plus tard, on amenait également Kharitonof (chef de cuisine),. le vieux Troup (laquais} et le petit Léonide Sèdnief (marmiton). Le général Tatichtchef, la comtesse Hendrikof, Mme Schneider et Volkof, valet de chambre de l'impératrice, avaient été conduits directement en prison.
Le 24, Tchérnadourof, était tombé rnalade, fût transféré à l'infirmerie de la prison; - on l'y oublia et c'est ainsi qu'il échappa miraculeusement à la mort. Quelques jours après, on emmenait à leur tour Nagornv et Sèdnief. Le petit nombre de ceux qu'on avait laissés auprès des prisonniers diminuait rapidement. Par bonheur il leur restait le Dr Botkine dont le dévouement fut admirable et quelques domestiques d'une fidélité à toute épreuve : Anne Demidova, Kharitonof, Troup et le petit Léonide Sèdnief. En ces jours de souffrances, la présence du Dr Botkine fut un grand réconfort pour les prisonniers; il les entoura de ses soins, servit d'intermédiaire entre eux et les commissaires et s'efforça de les protéger contre la grossièreté de leurs gardiens.
L'empereur, l'impératrice et le tsarévitch occupaient la pièce qui forme l'angle de la place et ce la ruelle
ETABLIES PAR L'ENQUETE 239
Vosnessensky ; les quatre grandes-duchesses, la chambre voisine dont la porte avait été enlevée ; les premières nuits. n'avant pas de lit, elles couchèrent sur Ie plancher. Le docteur Botkine dormait dans le salon et la femme de chambre de l'impératrice dans la pièce qui est à l'angle de la ruelle Vosnessenskv et du jardin. Quant aux autres captifs, ils s'étaient installés dans la cuisine et la salle adjacente.
La nuit du meurtre. la famille impériale passa par la salle a manger et la cuisine et descendit l'escalier, à droite, au-dessous du mot passage.
L'état de santé d'Alexis Nicolaïévitch avait été aggravé par les fatigues du voyage ; il restait couché la majeure partie de la journée et, lorsqu'on sortait pour la promenade, c'était l'empereur qui le portait jusqu'au jardin.
La famille et les domestiques prenaient leurs repas en commun avec les commissaires qui habitaient au
240 LES CIRCONSTANCES DU CRIME
même étage qu'eux, vivant ainsi dans une promiscuité de toute heure avec ces hommes grossiers qui le plus souvent étaient ivres.
La maison avait été entourée d'une seconde clôture de planches ; elle était devenue une véritable prison-forteresse. Il y avait des postes de sentinelles à l'intérieur et à I'extérieur, des mitrailleuses dans le bâtiment
Plan de la propriété Ipatief.
et au jardin. La chambre du commandant - la première en entrant - était occupée par le commissaire Avdief, son adjoint Mochkine et quelques ouvriers. Le reste de la garde habitait le sous-sol, mais les hommes rnontaient souvent, à l'étage supérieur et pénétraient quand bon leur semblait dans les chambres où logeait la famille impériale.
Cependant la religion soutenait d'une façon remarquable le courage des prisonniers. Ils avaient gardé cette foi merveilleuse qui, à Tobolsk déjà, faisait. l'admiration de leur entourage et qui leur donnait tant de force, tant de sérénité dans la souffrance. Ils étaient déjà presque détachés de ce monde. On entendait souvent l'impératrice et les grandes-duchesses chanter des airs religieux qui venaient troubler, rnalgré eux, leurs gardiens.
Peu à peu, toutefois, ces gardiens s'humanisèrent, au
ETABLIES PAR L'ENQUÊTE 241
contact de leurs prisonniers. Ils furent étonnés de leur simplicité, attirés par leur douceur, subjugués par leur dignité sereine et bientôt ils se sentirent dominés par ceux qu'ils avaient cru tenir en leur pouvoir. L'ivrogne Avdief lui-même se trouva désarmé par tant de grandeur d'âme ; il eut le sentiment de son infamie. Une profonde pitié succéda chez ces hommes à la férocité du début.
Les autorités soviétiques, à Ekaterinbourg, comprenaient :
a) le Conseil régional de l'Outal, composé de 30 membres environ dont le président était le commissaire Biéloborodof ;
b) le Présidtum, sorte de comité exécutif formé de quelques membres : Biéloborodof, Golochtchokine, Syromolotof, Safarof, Voïkof, etc. ;
c) la Tchrezugtchaïka, dénomination populaire de la « Commission extraordinaire pour la lutte contre la contre-révolution et Ia spéculation », dont le centre est à Moscou et qui a ses ramifications dans toute la Russie. C'est là une organisation formidable qui est Ia base même du régime soviétique. Chaque section reçoit ses ordres directement de Moscou et les exécute per ses propres moyens. Toute Tchrezugtchaika de quelque irnportance dispose d'un détachement d'hommes sans aveu : le plus souvent des prisonniers de guerre austro-allemands, des Lettons, des Chinois, etc., qui ne sont en réalité que des bourreaux grassement retribués.
A Ekaterinbourg, la Tchrezugtchaïka était toute-puissante, ses membres les plus influents étaient les commissaires Yourovsky, Golochtchokine, etc.
Avdief était sous le contrôle immédiat des autres
242 LES CIRCONSTANCES DU CRIME
commissaires, membres du Présidium et de la Tchrezvytchaika. IIs ne tardèrent pas à se rendre compte du changement qui s'était opéré dans les sentiments des gardiens à I'égard de leurs prisonniers et résolurent de prendre des mesures radicales. A Moscou aussi on était inquiet, comme le prouve te télégramme suivant envoyé d'Ekaterinbourg par Biéloborodof à Sverdlof et à Golochtchokine (qui se trouvait alors à Moscou) : « Syrornolotof vient de partir pour Moscou pour organiser l'affaire selon indications du centre. Appréhensions vaines. Inutile s'inquiéter. Avdief révoqué. Mochkine arrêté. Avdief remplacé par Yourovsky. Garde intérieure changée, d'autres la remplacent. »
Ce télégramme est du 4 juilliet.
Ce même jour, en effet, Avdief et son adjoint Mochkine étaient arrêtés et remplacés par le commissaire Yourovsky, un Juif, et son second, Nikouline. La garde formée -cornrne il a été dit - exclusivement d'ouvriers russes, fut transférée dans une maison voisine, la maison Popof.
Yourovsky amenait avec lui dix hommes - presgue tous des prisonniers de guerre austro-allemands « choisis » parmi les bourreaux de la Tchrezagtchaïka. A partir de ce jour, ce furent eux qui occupèrent les postes intérieurs, les postes extérieurs continuant à être fournis par la garde russe.
La « maison à destination spéciale » était devenue une dépendance de la Tchrezagtchsika et la vie des prisonniers ne fut plus qu'un long rnartyre.
A cette époque, la mort de la famille impériale avait déjà été décidée à Moscou. Le télégramme cité plus haut le prouve. Syromolotof est parti pour Moscou.
ETABLIES PAR L'ENQUÊTE 243
« afin d'organiser l'affaire selon les indications du centre »... il va rentrer avec Golochtchokine apportant les instructions et les directives de Sverdlof. Yourovsky, en attendant, prend ses dispositions. Il sort plusieurs jours de suite à cheval, on le voit parcourir les environs, cherchant un endroit propice à ses desseins et où il puisse faire disparaître les corps de ses victimes. Et ce même homme, - cynisme qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, - s'en vient ensuite visiter le tsarévitch dans son lit !
Plusieurs jours s'écoulent ; Golochtchokine et Syromolotof sont rentrés, tout est prêt.
Le dimanche 14 juillet, Yourovsky fait appeler un prêtre, le Père Storojef, et autorise un service religieux. Les prisonniers sont déjà des condamnés à mort auxquels on ne saurait refuser les secours de la religion !
Le lendemain, il donne l'ordre d'emmener le petit Léonide Sèdnief dans la maison Popov où se trouve la garde russe.
Le 16, vers sept heures du soir, il ordonne à Paul Medviédef, en qui il avait toute confiance, - Medviédef était à la tête des ouvriers russes, - de lui apporter les douze revolvers, système Nagan, dont dispose la garde russe. Lorsque cet ordre est exécuté, il lui annonce que toute la famille impériale sera mise à mort cette nuit même et il le charge de le faire savoir plus tard aux gardes russes. Medviédef le leur communique vers dix heures.
Un peu après minuit, Yourovskv pénètre dans les chambres occupées par les membres de la famille impériale, les réveille, ainsi que ceux qui vivent avec eux, et leur dit de se préparer à le suivre. Le prétexte qu'il leur donne est qu'on doit les emmener, qu'il y a des
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émeutes en ville et qu'en attendant ils seront plus en sécurité à l'étage inférieur.
Tout le monde est bientôt prêt, on prend quelques menus objets et des coussins, puis l'on descend par l'escalier intérieur qui mène à la cour d'où l'on rentre dans les chambres du rez-de-chaussée. Yourovsky marche en tête avec Nikouline, puis viennent l'empereur portant Alexis Nicolarévitch, l'impératrice, les grandes-duchesses, le docteur Botkine, Anna Démidova, Kharitonof et Troup.
La, ligne pointillé indique le trajet par la famille impériale : descendue du premier étage, elle sortit dans la cour intérieure, remonta quelques marches et retraversa toute la maison pour arriver dans la chambre où elle allait être massacrée.
Les prisonniers s'arrêtent dans la pièce qui leur est indiquée par Yourovsky. Ils sont persuadés que l'on est, allé chercher les voitures ou les automobiles qui doivent les emmener et, comme l'attente peut être
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longue, ils réclament des chaises. On en apporte trois. Le tsarévitch, qui ne peut rester debout à cause de sa jambe malade, s'assied au milieu de la chambre. L'empereur prend place à sa gauche, le docteur Botkine est debout à sa droite et un peu en arrière. L'impératrice s'assied près du mur (à droite de la porte par laquelle ils sont entrés), non loin de la fenêtre. On a mis un coussin sur sa chaise comme sur celle d'Alexis Nicolaiévitch. Elle a derrière elle une de ses filles, probablement Tatiana. Dans I'angle de la chambre, du même côté, Anna Démidova, - elle a gardé deux coussins dans ses bras. Les trois autres grandes-duchesses sont adossées au mur du fond et ont à leur droite dans l'angle Kharitonof et le vieux Troup.
L'attente se prolonge. Brusquement Yourovsky rentre dans la chambre avec sept Austro-Allemands et deux de ses amis, les commissaires Ermakof et Vaganof, bourreaux attitrés de la Tchrezugtchaïka. Medviédef aussi est présent. Yourovsky s'avance et dit à l'empereur.: « Les vôtres ont voulu vous sauver, mais ils n'y ont pas réussi et nous sommes obliges de vous mettre à mort. » Il lève aussitôt son revolver et tire à bout portant sur l'empereur qui tombe foudroyé. C'est le signal d'une décharge générale. Chacun des meurtriers a choisi sa victime. Yourovsky s'est réservé I'empereur et le tsarévitch. La mort est presgue instantanée pour la plupart des prisonniers. Cependant Alexis Nicolaïévitch gémit faiblement. Yourovsky met fin à sa vie d'un coup de revolver. Anastasie Nicolaiévna n'est que blessée et se met à crier à l'approche des meurtriers; elle succombe sous les coups des baîonnettes. Anna. Démidova elle aussi, a été: épargnée grâce aux coussins derrière lesquels elle se cache. Elle se jette de côté et
Sont tués en même temps que la famille impériale: le Dr Botkine, Kharitonof, le vieux Troup et Anna. Démidova, leurs employés. Page 248
Le Dr Botkine également tué!
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d'autre et finit par tomber à son tour sous les coups des assassins
Les dépositions des témoins ont permis à l'enquête de rétablir dans tous ses détails la scène effroyable du massacre. Ces témoins sont Paul Medviédef (1), I'un des meurtriers; Anatole Yakimof, qui assista certainement au drame, quoiqu'il le nie, et Philippe Proskouriakof qui raconte Ie crime d'après le récit d'autres spectateurs. Tous les trois faisaient partie de la garde de la maison Ipatief.
Quand tout est terminé les commissaires enlèvent aux victimes leurs bijoux, et les corps sont transportes à l'aide de draps de lit et des brancards d'un traîneau jusqu'au camion automobile qui attend devant la porte de la cour, entre les deux clôtures de planches.
Il faut se hâter avant le lever du jour. Le funèbre cortège traverse la ville encore endormie et s'achemine vers la forêt. Le commissaire Vaganof le précède à cheval, car il faut éviter toute rencontre. Comme on approche déjà de la clairière vers laquelle on se dirige, il voit venir à lui un char de paysans. C'est une femme du village de Koptiaki, qui est partie dans la nuit avec son fils et sa bru pour venir vendre son poisson à la ville. Il leur ordonne aussitôt de tourner bride et de rentrer chez eux. Pour plus de sûreté, il les accompagne en galopant à côté du char, et leur interdit sous peine
1. Medviédef fut fait prisonnier, lors de ta prise de Perm par les troupes antlbolchéviques en février 1919. Il mourut un mois plus tard à Ekaterinbourg du typhus exanthématique.Il prétendait n'avoir assisté qu'à une partie du drame et n'avoir pas tiré lui-même. (D'autres témoins affirment le contraire.) C'est là le procédé classique auquel tous les assassins recourent pour leur défense.
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de mort de se retourner et de regarder en arrière. Mais la paysanne a eu le temps d'entrevoir [a grande masse sombre qui s'avançait derrière le cavalier. Rentrée au village, elle raconte ce qu'elle a vu. Les paysans intrigués partent en reconnaissance et viennent se heurter au cordon de sentinelles gui a été placé dans la forêt.
Cependant, après de grandes difficultés, car les chemins sont très mauvais, le camion a atteint la clairière. Les cadavres sont déposés à terre puis en partie déshabillés. C'est alors que les commissaires découvrent une quantité de bijoux que les grandes-duchesses portaient cachés sous leurs vêtements. Ils s'en emparent aussitôt, mais dans leur hâte ils en laissent tomber quelques-uns sur te sol où ils sont piétinés. Les corps sont ensuite sectionnés et placés sur de grands bûchers, dont la combustion est activée par de la benzine. Les parties les plus résistantes sont détruites à l'aide d'acide sulfurique. Pendant trois jours et trois nuits les meurtriers travaillent à leur oeuvre de destruction sous la direction de Yourovsky et de ses deux amis Ermakof et Vaganof. On amène 175 kilogrammes d'acide sulfurique et plus de 300 litres de benzine de la ville à ta clairière !
Enfin, le 20 juillet. tout est terminé. Les meurtriers font disparaître tes traces des bûchers, et les cendres sont jetées dans un puits de mine ou dispersées dans les environs de la clairière, afin que rien ne vienne révéler ce qui s'est passé.
***
Pourquoi ces hommes prennent-ils tant de soin à faire disparaître toute trace de leur action ? Pourquoi, alors qu'ils prétendent faire oeuvre de justiciers,
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cachent-ils comme des criminels ? Et de qui se cachent-ils ?
C'est Paul Medvédief qui nous le fait savoir dans sa déposition. Après le crime, Yourovsky s'approche de lui et lui dit : « Maintiens les postes extérieurs de peur que le peuple ne se révolte t » Et, les jours suivants, les sentinelles continuent à monter la garde autour de la maison vide, comme si rien ne s'était passé, comme si les clôtures renfermaient toujours les prisonniers.
Celui qu'il faut tromper, celui qui ne doit pas savoir, c'est le peuple russe.
Un autre fait le prouve, c'est la précaution prise, le 4 juillet, d'emmener Avdief 'et d'écarter la garde russe. Les commissaires n'avaient plus confiance en ces ouvriers des usines de Sissert et de la fabrique des frères Zlokazof, qui s'étaient pourtant ralliés à leur cause et qui étaient venus s'enrôler volontairement pour « garder Nicolas le sanguinaire ». C'est qu'ils savaient que, seuls, des forçats ou des étrangers, des bourreaux salariés, consentiraient à accomplir la besogne infâme qu'ils leur proposaient. ces bourreaux furent : Yourovsky, un Juif, Medvédief, Nikouline, Ermakof, Vaganof, forçats russes, et sept Austro-Allemands.
Oui, c'est du peuple russe qu'ils se cachent, ces hommes qui prétendent en être les mandataires. c'est de lui qu'ils ont peur; ils craignent sa vengeance.
Enfin, le 20 juillet, ils se décident à parler et à annoncer au peuple la mort de l'empereur, par une proclamation affichée dans les rues d'Ekaterinbourg.
Cinq jours plus tard, les journaux de Perm publient la déclaration suivante :
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DECISION
du Présidium du Conseil régional des députés ouvriers, paysans et gardes rouges de I'Oural :
Étant donné que tes bandes tcbéco-slovaques menacent la capitale rouge de l'Oural, Ekaterinbourg; étant donné que le bourreau couronné peut échapper au tribunal du peuple (on vient de découvrir un complot des gardes blancs ayant pour but I'enlèvement de toute la famille Romanof), le Présidium du Comité régional, en exécution de la volonté du peuple, a décidé : l'ex-tsar Nicolas Romanof, coupable devant le peuple d'innombrables crimes sanglants, sera fusillé.
La décision du Présidium du Conseil régional a été exécutée dans la nuit du 16 au 17 juillet.
La famille de Romanof a été transférée d'Ekaterinbourg dans un autre endroit plus sûr.
Le Présidium du Conseil régional des députés ouvriers, paysans, et gardes rouges de l'Oural.
DÉCISION
du Présidium du Comité exécutif central de toutes les Russies, du 18 juillet, a. c.
Le Comité exécutif central des Conseils des députés ouvriers, paysans, gardes rouges et cosaques, en la personne de son président, approuve I'action du Présidium du Conseil de l'Oural.
Le Président du Comité exécutif central :
Y. Sverdlof
Dans ce, document, on fait état d'une sentence de mort prononcée soi-disant par le Présidium d'Ekaterinbourg. contre l'empereur Nicolas II. Mensonge ! Le crime, nous le savons, a été décidé à Moscou par Sverdlof, et ses instructions ont été apportées à Yourovsky par Golochtchokine et Syromolotof.
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Sverdlof a été la tête et Yourovsky le bras ; tous deux étaient juifs.
L'empereur n'a été ni condamné, ni même jugé, - et par qui aurait-il pu l'être ? - il a été assassiné. Que dire alors de t'impératrice, des enfants, du docteur Botkine et des trois domestiques gui ont succombé avec eux ? Mais qu'importe aux meurtriers : ils sont sûrs de I'impunité ; la balle a tué, la flamme a détruit et la terre a recouvert ce que le feu n'avait pu dévorer. Oh I ils sont bien tranquilles, aucun d'eux ne parlera, car ils sont liés par l'infamie. Et c'est avec raison, semble-t-il, que le commissaire Voikof peut s'écrier : « Le monde ne saura jamais ce que nous avons fait d'eux ! »
Ces hommes se trompaient.
Après quelques mois de tâtonnements, I'instruction entreprend des recherches méthodiques dans la forêt. Chaque pouce de terrain est fouillé, scruté, interrogé, et bientôt le puits de mine, le sol de la clairière et t'herbe des environs révèlent leur secret. Des centaines d'objets et de fragments d'objets, la plupart piétinés et enfoncés dans le sol, sont découverts, identifiés et classés par l'instruction. On retrouve ainsi entre autres :
La boucle du ceinturon de l'empereur, un fragment de sa casquette, le petit cadre portatif qui contenait le portrait de I'impératrice la photographie en a disparu - et que l'empereur emportait toujours avec lui, etc.
Les boucles d'oreilles préférées de l'impératrice (l'une est brisée), des morceaux de sa robe, un verre de ses lunettes, reconnaissable à sa forme spéciale, etc.
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La boucle du ceinturon du tsarévitch, des boutons et des morceaux de son manteau, etc.
Une quantité de petits objets ayant appartenu aux grandes-duchesses : fragments de leurs colliers, de leurs chaussures : boutons, crochets, pressions, etc.
Six buses de corsets en métal, « six », chiffre qui parle de lui-même, si l'on se rappelle le nombre des victimes : l'impératrice, les quatre grandes-duchesses et A. Démidova, la femme de chambre de l'impératrice'
6 buses de corset et quelques bijoux retrouvés près du puits de mine en mai 1919
Daniel Girardin: “Précepteur des Romanov: le destin russe de Pierre Gilliard”, page 138
Le dentier du docteur Botkine, des fragments de son lorgnon, des boutons de ses vêtements, etc.
Enfin, des ossements et des fragments d'ossements calcinés, en partie détruits par l'acide, et qui portent parfois la trace d'un instrument tranchant ou de la scie ; des balles de revolver - celles qui étaient restées dans les corps, sans doute - et une assez grande quantité de plomb fondu.
Lamentable énumération de reliques qui ne laissent, hélas ! aucun espoir et d'où la vérité se dégage dans toute sa brutalité et son horreur.
Le commissaire Voïkoff se trompait : « Le monde sait maintenant ce qu'ils ont fait d'eux »
Cependant les meurtriers s'inquiètent. Les agents quille ont laissés à Ekaterinbourg pour égarer les recherches les tiennent au courant de la marche de l'instruction. Ils en suivent pas à pas les progrès. Et quand ils comprennent enfin que la vérité va être connue, que le monde entier saura bientôt ce qui s'est passé, ils ont peur et cherchent à faire retomber sur d'autres la responsabilité de leur forfait. c'est alors qu'ils accusent les socialistes-révolutionnaires d'être les auteurs du crime et d'avoir voulu par là compromettre
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Ie parti bolchévique. En septembre 1919, vingt-huit personnes, accusées faussement d'avoir pris part au meurtre de la famille impériale, sont arrêtées par eux à Perm et jugées. Cinq d'entre elles sont condamnées
à mort et exécutées.
Cette odieuse comédie témoigne, une fois de plus, du cynisme,de ces hommes qui n'hésitent pas à envoyer à Ia mort des innocents pour ne point encourir la responsabilité d'un des plus grands crimes de l'histoire.
***
II me reste à parler de la tragédie d'Alapaevsk qui est étroitement liée à celle d'Ekaterinbourg et qui causa la mort de plusieurs autres membres de la famille impériale.
La grande-duchesse Elisabeth Féodorovna, soeur de l'impératrice, le grand-duc Serge Michailovitch, cousin de l'empereur, les princes Jean, Constantin et lgor, fils du grand-duc Constantin, et le prince Parée, fils du grand-duc Paul, avaient été arrêtes au printemps 1918 et conduits dans la petite ville d'Alapaevsk, située à cent cinquante verstes au nord d'Ekaterinbourg. Une nonne, Barbe Yakovlef, compagne habituelle de la grande-duchesse, et S. Remes, secrétaire du grand-duc Serge, partageaient leur captivité. on leur avait donné pour prison la maison d'école.
Dans la nuit du 17 au 18 juillet, vingt-quatre heures après Ie crime d'Ekaterinbourg, on vint les chercher et, sous prétexte de les emmener dans une autre ville, on les conduisit en voiture à quelque douze verstes d'Alapaevsk. c'est là, dans une forêt, qu'ifs furent mis à mort. Leurs corps furent jetés dans un puits de mine
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abandonné où on les retrouva, au mois d,octobre 1918, recouverts par la terre éboulée à ta suite de l'explosion des grenades à main qui avaient mis fin aux souffrances des victimes.
L'autopsie n'a relevé des traces d'armes à feu que sur Ie corps du grand-duc Serge et l'enquête n'a pu établir avec exactitude comment ses compagnons furent mis à mort. Il est probable qu'ils furent assommés à coups de crosses.
Ce crime, d'une brutalité inouïe, fut l'oeuvre du commissaire Safarof, membre du présidium d'Ekaterinbourg qui ne fit d'ailleurs qu'exécuter les ordres de Moscou.
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Quelques jours après la prise d'Ekaterinbourg, alors qu'on s'occupait de remettre en état la ville et d'enterrer les morts, on releva deux cadavres non loin de Ia prison. Sur I'un d'eux, on trouva un reçu de 80'000 roubles au nom du citoyen Dolgorouky et. d'après les descriptions des témoins, il semble bien que c'était là le corps du prince Dolgorouky. Quant à l'autre, on a tout lieu de croire que c'était celui du général Tatichtchef.
L'un et l'autre sont morts, comme ils l'avaient prévu, pour leur empereur. Le général Tatichtchef me disait un jour à Tobolsk : « Je sais que je n'en ressortirai pas vivant. Je ne demande qu'une seule chose, c'est qu'on ne me sépare pas de l'empereur et qu'on me laisse mourir avec lui. » II n'a même pas eu cette suprême consolation.
La comtesse Hendrikof et Mlle Schneider furent emmenées d'Ekaterinbourg quelques jours après le
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meurtre de la famille impériale, et conduites à Perm. C'est là qu'elles furent fusillées dans ta nuit 4 septembre 1918. Leurs corps furent retrouvés et identifiés en mai 1919.
Quant à Nagorny, le matelot d'Alexis Nicolaïévitch, et au laquais Ivan Sèdnief, ils avaient été mis à mort dans les environs d'Ekaterinbourg, au début de juin 1918. Leurs corps furent retrouvés deux mois plus tard sur le lieu de l'exécution.
Tous, du général au simple matelot. ils n'ont pas hésité à faire le sacrifice de leur vie et à marcher courageusement à la mort. Et ce matelot, humble paysan d'Ukraine, il n'avait pourtant qu'un mot à dire pour être sauvé. Il n'avait qu'à renier son empereur! Ce mot, il ne l'a pas dit.
C'est que, depuis longtemps, ils avaient, d'une âme simple et fervente, sacrifié leur vie à ceux qu'ils aimaient et qui avaient su faire naître autour d'eux tant d'attachement, de courage et d'abnégation.
17 juillet 1918, l'assassinat de Nicolas II, de sa famille et quelques serviteurs
1er octobre 2008: Le Présidium de la Cour Suprême de Russie a reconnu que les répressions contre le tsar Nicolas et sa famille comme injustifiées et a décidé de les réhabiliter. Il ne reste plus, à cette cour de justice qu'à condamner, à titre postume, les commanditaires et les assassins. Ce qui obligerait à effacer les rues, les villes, les oblasts qui portent encore le nom des meurtriers, Lénine et Sverdlov!
27 août 2010: La décision de la Cour suprême permet la réouverture l'enquête sur le meurtre du Tsar et de sa famille. Un acte tout sauf anodin car il permettra au peuple russe de faire connaître la vérité sur l'horreur des bolcheviks masquées par des tonnes de mensonges.
L'article de Aurélia Vertaldi , “Le Figaro” du 1er octobre 2008 apporte des informations intéressantes sur la réhabilitation du tsar Nicolas II. La cour a répondu à une plainte déposée il y a 3 ans par la Grande Duchesse Maria Vladimirovna dont le bisaïeul était Alexandre II. Après avoir été rejetées plusieurs fois, la ténacité a fini par payer. Quant à Ivan Artsichevski, autre descendant, il a déclaré: “«Le fait que l'Etat russe a reconnu sa responsabilité pour ce meurtre est un pas vers un repentir général et la réhabilitation de toutes les victimes innocentes» des bolcheviks. Les victimes de tortures, d'arrestations arbitraires, de déportations, d'exécution par le poison, le froid, une balle ou la faim, se chiffrent à au moins 5 millions, sans compter les exilés!
http://www.fonjallaz.net/Communisme/N2/Massacre-famille-tsar/index.html